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Fugitive Colors

Certains matériaux sont impermanents. Le correcteur de l’ordinateur ne cesse de corriger impermanent par impertinent. Et ainsi vont les couleurs. Elles s’en vont. Elles se font la malle. Elles sont temporaires, changeantes, instables, furtives, fragiles, fugaces, fugitives. Elles s’enfuient? Elles voyagent. Le temps est un matériau. L’incertitude est un matériau.  L’insignifiance est un matériau. L’impermanence est un matériau. 
















Traces de haricots noirs, de fleurs d’hibiscus, de lentilles noires, de riz noir, d’azuki, de Butterfly pea, brou de noix pigmenté, sang, feutres, scotch, aquarelle, gouache, stylo fin, stylo fluo, papier buvard, envers de boîtes de médicaments, graines…

Si je dois trouver un point commun aux matériaux que j’aime utiliser, c’est finalement qu’ils sont tous faciles à emporter ou à se procurer.

J’ai toujours aimé faire ma valise et eu beaucoup de mal à la défaire. Quand j’étais petite et que je rentrais, je revenais en général de chez mon père, je gardais tout bien compartimenté dans ma valise carrée, elle était noire et souple, c’était à l’origine une valise pour les machines à écrire. Au beau milieu du bazar de ma chambre, gisait cette valise ouverte, c’était comme un placard à plat qu’on regardait d’en haut. Cela exaspérait ma mère qui en déduisait que je ne pensais qu’à repartir. Ce n’était pas tout à fait faux mais je crois surtout que cela me plaisait de réussir à loger tout ce dont je pourrais avoir besoin dans une boîte, pour les départs soudains, tout pour tous les au cas-où on aurait une panne en route ou un retard de train, une correspondance ratée, une grève, du temps à passer dans une salle d’attente, tous ces entre-temps. Je ne voulais pas de sandwich au poulet dans ma valise que ma mère me refourguait de toute façon et c’est toujours le cas aujourd’hui mais un livre ou même deux, de quoi écrire, un appareil photo, des feutres, du scotch, un cahier ou même deux, une belle paire de chaussures (des sandales de préférence), un vêtement à capuche, quelques épices de survie et puis les médicaments devenus indispensables à ma vie et qui prennent souvent la moitié de la place dans la valise
Le train démarre et là se déploie toute une ribambelle de paysages que je regarde à peine ou par bribe comme quand on cligne des yeux, ces paysages font écho à une libération soudaine de tous mes désirs à la fois, c’est à chaque fois un foisonnement d’idées et de paroles et de traits et de points, de mises au point parfois que j’ai du mal à coucher sur le papier tant ça va vite entre les ponts, la pluie qui éclate sur la vitre, l’eau qui s’étale sur les rives entre les arbres d’hiver tout 

















nus et les gares abandonnées. Je bouche mes oreilles et je plonge dans un monde mouvant, ça m’emmène. C’est toujours un immense bonheur que de partir, que de se mettre en route. Alors forcément je me pose la question s’il ne faudrait pas que je me mette en route tous les jours. 

















Comme ce n’est pas forcément possible, je défais ma valise, je dérange mes crayons, je déplie mes papiers et je les étale sur les tatamis. Je cligne des yeux et je dessine un peu. 

















Dans mes projets, je rêve de réussir un jour à écrire une histoire ou même deux, le long des mots courraient des dessins ou l’inverse.
Ma mère m’appelle pour me souhaiter bon voyage ou autre et je lui dis que je suis en train de faire ma valise, cet entrain de en train de lui fait rouler les yeux, je l’entends à travers le combiné, peut-être même qu’en roulant les yeux, elle sourit.

Des fois, c’est elle qui m’accompagne à la gare avec cette même panique d’antan, on partait toujours un peu trop tard ce qui engendrait un état d’électricité statique un peu explosif, je revois nos cheveux tous levés au gré des anoraks en plastique frottés ou des divers acryliques et caoutchoucs de nos baskets et collants.
Le train ne siffle plus mais ça bipe, la porte se referme et on croit qu’il faut sauter dans le train, enfin comme aujourd’hui tout bipe même la bouilloire électrique, on ne sait plus très bien pourquoi mais on sursaute, ça c’est certain. Je la taquine en lui disant que pour une fille de cheminot, elle a sacrément perdu les habitudes du quai de la gare, je lui dis que je lui dirai à son père au Paradis qui était Chef de gare dans sa vie d’ici, elle rétorque: Je lui dirai moi-même!
Cela aurait l’air champêtre de mon jardin ou la couleur pour le moins fugitive de ces rêveries aperçues par toutes mes fenêtres, on écouterait du banjo comme en Amérique.




On filerait en décortiquant une noix.